Lire les commentaires sur facebook de personnes se
définissant comme athées et libres penseurs n’a pas fini de m’étonner. L’athéisme, à mon sens, ne devrait se concevoir qu’avec un
esprit rationnel. Voir des personnes rejetant
la croyance en une divinité accorder du crédit à des pseudo-médecines telles que l’homéopathie ou l’acupuncture me surprend donc toujours.
Ce n’est peut-être pas aussi inconcevable. Les êtres humains auraient-ils besoin de
croire ? En tous cas, une étude a montré
que la croyance en une religion semblait avoir
un effet protecteur contre les croyances para-scientifiques : yéti, OVNI, extra-terrestres... et même, qu'une forte imprégnation religieuse protégeait contre des croyances en la réincarnation, l'astrologie... considérées comme des superstitions par l'église catholique.(1) Un peu comme si l'absence de croyance religieuse ouvrait la porte à d'autres croyances.
D'autre part, une étude déjà ancienne a montré que contrairement à ce à quoi on pourrait s'attendre, un statut socio-professionnel à dominante intellectuelle ne protège pas nécessairement contre des croyances au paranormal ou à l'astrologie. Cette étude montre que, globalement, un statut socio-professionnel supérieur implique une tendance à croire au paranormal et un statut socio-professionnel inférieur à croire à l'astrologie. Les plus sceptiques pour le paranormal et l'astrologie sont les agriculteurs et les plus croyants sont les instituteurs.(2)
Certaines personnes se disant athée ou sans religion n'auraient-elles pas transféré leur besoin de croyance dans la science et pour certaines sans l’esprit critique qui permet de s’écarter de la gourouterie et autres charlataneries ?
Plus compliquée à comprendre est l’adhésion à la
psychanalyse par des personnes rationnelles.
Je ne m’étendrai pas sur la démonstration que la psychanalyse ne peut
être considérée comme une science.
Les psychanalystes eux-mêmes ne la définissent pas comme telle, et rejettent d'ailleurs souvent la démarche scientifique pour leur pratique. De nombreux sceptiques ont critiqué la psychanalyse avant moi et plus brillamment que je ne le pourrais. On pense notamment au Livre noir de la psychanalyse et je ne saurais trop vous conseiller les
documents mis en ligne par le professeur Jacques Van Rillaer, un de ses auteurs, ex-psychanalyste, qui l'a donc connue de l'intérieur. Je me contenterai de rappeler qu’aucun concept psychanalytique n’a pu être
validé par des observations. Voir par exemple les recherches sur le complexe
d’oedipe (3).
D'autre part, en 2004, une analyse de l'Inserm a conclu a une efficacité nettement supérieure des thérapies cognitivo-comportementalistes (TCC) par rapport à la psychanalyse et aux thérapies familiales, la moins efficace étant la psychanalyse.(4)
Je ferai cependant la différence entre les
« psychanalystes pratiquants » et les personnes adhérant à la
psychanalyse.
Les premiers ne pourraient
abandonner leur foi à la psychanalyse qu’en remettant en question toute leur pratique
et parfois leur carrière. Mais les autres ?
Ceux qui, parfois, n’ont même pas l’excuse d’avoir fait une analyse et qui y auraient trouvé un certain réconfort ? Car bien sûr, n'importe quelle thérapie peut avoir une certaine efficacité comparable à l'amélioration que l'on peut ressentir en prenant des granules homéopathiques. C'est l'effet placebo. Mais d'un traitement quel qu'il soit, médicamenteux ou psychothérapie, on attend plus qu'un effet placebo.
D’autres que moi ont décrit l’omniprésence des
psychanalystes dans les médias.
Non
seulement les psychanalystes sont appelés comme experts dans les tribunaux pour
les affaires criminelles ou familiales, mais ils s'expriment sur à peu près tous les sujets de société : sur la mariage pour tous, sur le danger des jeux vidéos, sur la mode féminine, le divorce, les châtiments corporels, l'éducation,
combien de temps on doit allaiter, la
taille du lit des parents...
Que le ministre de l’intérieur en Belgique tienne des propos choquants
sur la
collaboration
avec les nazis ou
qu’un
Jérôme Cahuzac mente, on appelle l’analyse d’un psychanalyste, quand il ne
délivre pas tout simplement
un
diagnostic sur une personnalité en vue.
Plus insidieux, les concepts psychanalytiques sont dans tous
les esprits.
On vous parlera d’acte
manqué si vous oubliez votre rendez-vous, de transfert si vous vous plaignez de
votre médecin.
On contrera un
interlocuteur en lui disant qu’il fait une projection.
Ou bien on rira du
lapsus de ce
malheureux séminariste.
La psychanalyse en France et en Belgique francophone s’est
rendue incontournable. Ses concepts ont
été vulgarisés au point d’être totalement déformés. Elle fait tellement bien partie de notre
culture que l’on a fini par prendre ce qu’elle énonce comme allant de soi.
On dit souvent que la psychologie scientifique est réductrice
parce qu’elle ne permettrait pas d’appréhender toute la profondeur et la
richesse du psychisme et d’apporter une vision de l’homme comme le fait la
psychanalyse.
Mais quelle vision de l’homme ?
La psychanalyse n'est pas une science, son discours tiendrait plutôt de la philosophie. Mais alors que la philosophie occidentale et contemporaine, par nature, se présente comme une démarche de réflexion et se comprend comme une critique rationnelle de tous les savoirs, comment concilier cette démarche avec la question de l'inconscient freudien, considéré comme une réalité totalement hétérogène à la conscience ?
Je vois, pour ma part, beaucoup plus de liens entre psychanalyse et religion. Bien sûr, Freud était juif et se déclarait athée. Néanmoins, la psychanalyse a eu du succès dans des pays où la religion catholique est prégnante.
Comment ne pas faire le parallèle entre la doctrine du péché originel affirmant que tout être humain naît corrompu à cause de la faute d'Adam et Eve et la vision profondément pessimiste de la nature humaine selon Freud ?
"L’homme n’est point cet être débonnaire, au cœur assoiffé d’amour, dont on dit qu’il se défend quand on l’attaque, mais un être au contraire qui doit porter au compte de ses données instinctives une bonne somme d’agressivité. Pour lui, par conséquent, le prochain n’est pas seulement un auxiliaire et un objet sexuel possibles, mais aussi un objet de tentation. L’homme est en effet tenté de satisfaire son besoin d’agression aux dépens de son prochain, d’exploiter son travail sans dédommagements, de l’utiliser sexuellement sans son consentement, de s’approprier ses biens, de l’humilier, de lui infliger des souffrances, de le martyriser et de le tuer."
Freud, Malaise dans la civilisation. 1929
Ce qui me frappe d'autre part, c'est la forme de la cure analytique, avec son rituel, son prix. Ne serait-elle pas une forme de confession telle que la pratiquent les catholiques, avouant au prêtre caché derrière sa grille, dans le secret du confessionnal, toutes leurs turpitudes ? Au prêtre, le catholique doit avouer tous ses péchés afin d'être pardonné. A l'analyste, l'analysant est censé dire tout ce qui lui passe par la tête sans jamais rien trier des pensées ou des images qui lui passent pas la tête. C'est la règle de libre association.
« Votre récit doit différer, sur un point, d'une conversation ordinaire. Tandis que vous cherchez généralement, comme il se doit à ne pas perdre le fil de votre récit et à éliminer toutes les pensées, toutes les idées secondaires qui gêneraient votre exposé et qui vous feraient remonter au déluge, en analyse vous procédez autrement. Vous allez observer que, pendant votre récit, diverses idées vont surgir, des idées que vous voudriez bien rejeter parce qu'elles sont passées par le crible de votre critique. Vous serez alors tenté de vous dire : « ceci ou cela n'a rien à voir ici » ou bien : « telle chose n'a aucune importance » ou encore : « c'est insensé et il n'y a pas lieu d'en parler ». Ne cédez pas à cette critique et parlez malgré tout, même quand vous répugnez à le faire ou justement à cause de cela. Vous verrez et comprendrez plus tard pourquoi je vous impose cette règle, la seule d'ailleurs que vous deviez suivre. Donc, dites tout ce qui vous passe par l'esprit. Comportez-vous à la manière d'un voyageur qui assis près de la fenêtre de son compartiment, décrirait le paysage tel qu'il se déroule à une personne placée derrière lui. Enfin, n'oubliez jamais votre promesse d'être tout à fait franc, n'omettez rien de ce qui pour une raison quelconque, vous paraît désagréable à dire (…)
La technique psychanalytique, Ed.: Presses Universitaires de France, 2007, coll.: Quadrige Grands textes.
Enfin, last but not least, la misogynie de Freud n'a rien à envier à celle de Saint Paul. On trouvera par exemple, chez ce dernier, des versets tels que :
"Que les femmes se taisent dans les assemblées." (1 Corinthiens
4,34-35). Voilà pourquoi la femme doit avoir sur la tête un signe de
soumission, à cause des anges (1 Corinthiens 11,5-10). Que les femmes
"soient soumises à leur mari" comme au Seigneur (Ephésiens 5,21-28).
Mais Freud sera bien plus explicite. Par exemple.
« La femme a le sens de la justice peu
développé, ce qui s’explique par la prédominance de l’envie dans sa vie
psychique […] Ses intérêts sociaux sont moins développés et ses
capacités de sublimer ses passions sont plus faibles que ceux des
hommes. »
Neue Folge der Vorlesungen zur Einfürung und die Psychoanalyse, 1932. Nouvelle suite aux Conférences d’Introduction à la psychanalyse, Œuvres complètes, Editions Fischer, Volume XV, page 144
« À la pudeur, qui passe pour une qualité
féminine par excellence mais qui est bien plus conventionnelle qu’on ne
pourrait le croire, nous attribuons l’intention initiale de masquer le
défaut (Defekt) de l’organe génital. […] On estime que les
femmes ont apporté peu de contributions aux découvertes et aux
inventions de l’histoire de la culture mais peut-être ont-elles quand
même inventé une technique, celle du tressage et du tissage. S’il en est
ainsi, on serait tenté de deviner le motif inconscient de cette
réalisation. C’est la nature elle-même qui aurait fourni le modèle de
cette imitation en faisant pousser, au moment de la puberté, la toison
pubienne qui cache les organes génitaux. Le pas qui restait encore à
franchir consistait à faire adhérer les unes aux autres les fibres qui,
sur le corps, étaient plantées dans la peau et seulement emmêlées les
unes avec les autres. »
Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, Folio Essais, p. 177
J'en resterai là, pour ce billet sans aucune prétention, partial, subjectif, et volontairement ironique lorsque je commente les écrits de Freud. Pourtant, mon avis "profane" n'est peut-être pas aussi différent de celui de
Jacques Alain Miller lui-même !
(1) RENARD Jean-Bruno,
Typologie des croyances au paranormal,
SPS n° 284, janvier 2009.
(2) BOY Daniel et MICHELAT Guy,
Croyance au parasciences : dimensions sociales et culturelles, Revue française de sociologie, vol.27, pp 175-204, 1986
(3) Ismael BENSLIMANE Ismaël, HASSAINI Roumaïssa, Jennifer KARAM Jennifer, MAZOYERCharline,
Le complexe d'Oedipe : une réalité scientifique ? Travail d'étudiants, 2011-2012
(4) Rapport de l'Inserm, Psychothérapie :
3 approches évaluées, 2004.