lundi 27 octobre 2014

Le dépistage de la trisomie : questions éthiques



Un dépistage plus sûr et plus efficace de la trisomie 21 est maintenant disponible.  Enjeux et questions éthiques.



Qu'est-ce que la trisomie 21 ?


La trisomie 21, ou syndrome de Down (1) est une anomalie chromosomique provoquée par la présence d'un chromosome surnuméraire de la paire 21.  C'est une des maladies génétiques la plus fréquente.   Sa prévalence est de 1 pour 800 grossesses, avec une augmentation du risque en fonction de l'âge de la mère : de 1/ 1500 à 20 ans jusqu'à 1/50 à 40 ans mais également de l'âge du père, ce qui est rarement dit.

La trisomie 21 est provoquée par un accident qui se passe le plus souvent lors de la première division de la méiose.  Plus rarement lors de la seconde division.  90 % des trisomies de ce type sont imputables à un accident de la méiose de l'ovocyte et 10 % de la méiose chez le spermatocyte.

Il existe également des trisomies occasionnées par une translocation, le bras long du chromosome 21 se retrouvant en triple exemplaire.  Le personne porteuse de cette anomalie aura un phénotype de trisomique.   Cette translocation peut être acquise de novo, c'est-à-dire être causée lors d'un accident pendant la gamétogenèse.  Soit être héritée d'un des parents.  En effet, certaines personnes sont porteuses d'une translocation équilibrée, c'est-à-dire que dans leur génome une partie de leur chromosome 21 se retrouve sur un autre chromosome.  La translocation est équilibrée parce que cette partie de chromosome 21 se trouve en double exemplaire comme chez n'importe quelle autre personne et donc ces personnes ne sont pas trisomiques.  Cependant, elles transmettront immanquablement la trisomie à leur enfant.  La monosomie étant létale.  Pour une meilleure compréhension, voir les schémas de l'article de Gilles Furlaud. (1)

Il existe également des trisomies mosaïques.  Elles se produisent lors d'une mitose pendant l'embryogenèse.  Dans ce cas, certaines cellules seront porteuses de la trisomie et d'autres non.  Les effets de cette trisomie dépendent des organes touchés.



Comment est-elle dépistée ?


Actuellement, le dépistage de la trisomie se fait par ce qu'on appelle le triple test.  Il consiste en la réalisation d'une échographie et de deux prises de sang à plusieurs semaines d'intervalle pour doser certains marqueurs sanguins.  Les résultats ainsi que l'âge de la mère, les antécédents de trisomie 21 dans la famille permettent d'établir un facteur de risque.  Lorsque le risque atteint un certain niveau, un caryotype doit être réalisé pour apporter la réponse définitive.  Pour cela une amniocentèse sera réalisée.  Elle consiste en un prélèvement de liquide amniotique, celui-ci contenant des cellules foetales.

Il faut préciser que le triple test est généralement proposé à toutes les femmes enceintes.  Il ne permet de dépister que 80 % des trisomies et d'autre part, la plupart des tests positifs déboucheront sur un caryotype normal.  C'est pourquoi on ne propose une amniocentèse qui est un examen invasif avec un risque non nul pour la mère et un risque de fausse couche de 1/100 que lorsque le risque de trisomie atteint le seuil de 1/250.



En quoi consiste ce nouveau test ?


Une simple prise de sang dès la 11ème semaine de grossesse permet désormais de dépister la trisomie 21.  L'analyse repose sur la détection de courtes séquences d'ADN foetal dans le sang de la femme enceinte.  On réalise un séquençage de l'ADN (2), c'est-à-dire la détermination de la succession des nucléotides qui le composent.   Le séquençage à très haut débit produit des millions de séquences en une seule étape et à faible coût.  Cette technique permet le repérage de l'ADN foetal qui ne constitue que 10 % de l'ADN plasmatique.  Il permet d'étudier un grand nombre de gènes voire tout le génome.

Cependant, à l'heure actuelle, ce test donne lieu à 1 à 5 % d'échecs, il devrait donc être complété par une amniocentèse permettant d'établir le diagnostic de façon quasi certaine.



Enjeux et questions éthiques


Le test de dépistage de la trisomie 21 sur le sang maternel a reçu l'aval du Comité Consultatif National d'Ethique en France (3).  En effet, ce test apporte une amélioration considérable.

- Il permet de détecter avec une efficacité proche des 100 % la trisomie.
- Il va réduire considérablement le nombre d'amniocentèses inutiles et donc diminuer le nombre de fausses couches provoquées par cet examen.
- Il est absolument sans risque pour la mère.
- Il peut être pratiqué très tôt, dès la 11ème semaine, ce qui permettra si la femme ou le couple le désire, une IMG (interruption médicale de grossesse) beaucoup plus précoce et donc moins traumatisante.

Cependant, on ne peut faire l'impasse sur les questions éthiques que pose ce nouveau test.  Je considère que l'éthique se différencie de la morale parce  qu'elle n'est pas dictée par une religion qui nous impose d'en haut ce qui est bien et ce qui est mal.  L'éthique est en continuelle construction, particulièrement dans tout ce qui concerne l'application des nouvelles découvertes dans le domaine de la santé.



Qu'est-ce que l'eugénisme ?


Or, ce test pose bien la question de l'eugénisme.  Il ne s'agit pas ici d'un test qui va permettre de dépister une maladie in utéro pour la traiter, ni un test qui permettrait de mettre fin à une grossesse d'un enfant non viable.  Il s'agit d'un test permettant de mettre fin à la grossesse d'un enfant viable bien que handicapé.  Et dont l'espérance de vie, grâce au progrès médicaux, se rapproche de celle de n'importe quelle autre personne.

L'eugénisme est un terme apparu pour la première fois en 1883 sous la plume de Galton, cousin de Darwin.  Dans une étude consacrée aux grands hommes politiques, il avait conclu au caractère héréditaire de l'intelligence et du génie et il lui était apparu nécessaire de maintenir la lignée des grands hommes par une organisation rationnelle des mariages.  La science de l'amélioration des lignées humaines devrait être calquée sur le modèle de l'élevage sélectif des animaux. 

L'eugénisme est une idéologie visant à intervenir sur le patrimoine génétique de l'humanité pour le faire tendre vers ce que l'on considère comme un idéal.  Il s'agit bien d'une idéologie parce que les connaissances scientifiques ne permettront jamais de définir ce qu'est cet idéal.  Néanmoins, les pratiques eugéniques prétendent s'appuyer sur les connaissances scientifiques et n'ont pu se développer que grâce à elles.  Le courant eugéniste ne s'est pas cantonné à un petit cercle de scientifiques.  Il s'est développé dans le grand public et chez certains hommes politiques.

Diverses méthodes ont été utilisées dans des pays démocratiques comme les pays scandinaves ou les Etats-Unis, telles que la stérilisation contrainte de femmes jugées porteuses de handicaps, ou alcooliques, ou de "races différentes" et  la restriction de l'immigration.  L'avortement forcé a aussi été pratiqué au Japon, à une époque où la lèpre était considérée comme héréditaire.  L'interdiction d'avoir un enfant ou de se marier a été instaurée en Chine en 1995 pour les personnes porteuses d'une maladie infectieuse ou d'une maladie mentale.  Et en Allemagne, de sinistre mémoire, le nazisme s'est rendu coupable du génocide de millions de Juifs, mais aussi d'extermination de vieux, de handicapés et de malades mentaux.  L'Allemagne nazie a favorisé la reproduction des personnes considérées comme appartenant à une race supérieure, par une politique nataliste et notamment par la pratique de lebensborn.  Eugénisme et racisme sont des idéologies proches.

Aujourd'hui encore dans nos pays, en France et en Belgique, malgré l'interdiction des pratiques eugéniques visant la sélection des personnes par la Communauté européenne, et la pénalisation de celles-ci à titre de "crimes contre l'espèce humaine par la France"
, des associations dénoncent les stérilisations contraintes de jeunes femmes handicapées. (6)

Il y a des pratiques eugéniques négatives.  Elles consistent à utiliser des pratiques permettant l'élimination des gènes jugés indésirables, par exemple en pratiquant la stérilisation, l'avortement forcé, voir l'élimination des individus.

Il y a aussi des pratiques eugéniques positives.  Elles visent à encourager la reproduction de personnes jugées porteuses d'un potentiel génétique favorable.  Les méthodes actuelles de fécondation in vitro permettent ces pratiques eugéniques positives, puisque les médecins proposent aux couples qui y recourent de choisir les embryons qui ne sont pas porteurs d'une maladie.




Le dépistage de la trisomie 21 permet-il une pratique eugénique ?


On peut répondre affirmativement à cette question.  En effet, même si la trisomie est le plus souvent une conséquence d'un accident chromosomique de novo, elle peut parfois être héritée de la part d'un parent non trisomique, mais porteur d'une translocation.  D'autre part, si les hommes trisomiques sont généralement stériles, ce n'est pas le cas des filles dont les enfants ont une chance sur deux d'être porteur de la trisomie.   Avorter lorsque l'embryon est porteur d'une trisomie est donc bien une pratique eugénique.



Pour autant, ce test doit-il être prohibé ?


Il n'y a pas de règles morales permettant de décider ce qui est bien ou mal dans l'absolu et donc, il nous faut décider de critères qui permettent de poser un choix éthique.

Pour moi, ces critères sont simples.  Il s'agit du choix libre et éclairé de la personne.  Il appartient à la femme, avec ou non le soutien de son compagnon, de décider si elle veut poursuivre une grossesse.  Personne ne peut décider à sa place.  Et nul n'a le droit de lui demander les raisons pour lesquelles elle décide de mettre fin à une grossesse.

Je considère que la décision, en dernier ressort, appartient à la femme.  C'est elle qui est enceinte, c'est elle qui subit la première, les conséquences d'une grossesse ou d'un avortement.  Idéalement, la décision se prendra à deux, mais un compagnon ne peut en aucun cas, imposer l'avortement ou la poursuite d'une grossesse non désirée.



Conditions pour un choix libre et éclairé.


Il ne peut y avoir de choix libre et éclairé de la femme ou du couple d'accepter ce dépistage et de demander une interruption médicale de sa grossesse lorsque l'embryon est porteur de la trisomie que si plusieurs conditions sont remplies.




Un accès à l'information

L'information sur la trisomie devrait être largement diffusée pour tous.  Et les enfants porteurs de trisomie devraient être scolarisés avec les autres enfants avec un accompagnement adéquat. Ce n'est qu'à cette condition que la société connaîtra réellement le handicap qu'implique la trisomie, sans en dramatiser les conséquences.  Mais cette condition n'est pas remplie actuellement.  Beaucoup d'enfants différents n'ont pas accès à l'école, particulièrement en France qui a été condamnée plusieurs fois (7).  La Belgique est un peu plus ouverte, mais il y a des progrès à faire.

Et c'est aussi au moment où le médecin propose le dépistage qu'il devra répondre aux interrogations de la femme ou du couple.   En effet, si un dépistage est réalisé, il y a de grandes chances que l'interruption de grossesse soit décidée.  C'est le cas, actuellement pour 96 % des femmes chez qui on a diagnostiqué la trisomie (3).  C'est donc en connaissance de cause, que la femme ou le couple devrait décider d'effectuer ou non ce dépistage.




Un engagement de la société dans la recherche sur le handicap

La recherche dans le domaine du handicap est considérée comme notoirement insuffisante en France par le Comité Consultatif  National d'Ethique.  Particulièrement dans le domaine de la prise en charge éducative.  Or, il existe des méthodes pédagogiques adaptées.  Si la recherche médicale a permis une amélioration de la santé des personnes atteintes de trisomie, la recherche dans le domaine d'un prise en charge éducative pour la trisomie comme pour d'autres handicaps est très peu encouragée.

Et on peut craindre que si le dépistage se généralise ainsi que les interruptions médicales de grossesse, le nombre d'enfants porteurs de la trisomie diminuant, la société s'investira moins encore dans le recherche.



Un accueil suffisant 

La crainte de tous les parents dont l'enfant est porteur de handicap, c'est son devenir lorsqu'ils auront disparu si leur enfant n'est pas autonome.  Beaucoup de personnes porteuses de trisomie peuvent acquérir une autonomie suffisante pourvu que l'on s'en donne les moyens.  Cependant, au cas où cela s'avère impossible, les parents doivent pouvoir compter sur des lieux d'accueil adaptés.  Or, on le constate pour l'autisme et pour d'autres handicaps, la France manque cruellement de structures adaptées. Dès lors, des milliers de personnes et d'enfants porteurs de handicap sont placés dans des centres en Belgique.  Certains de ces centres ne sont que de monstrueuses entreprises commerciales qui profitent du désarroi des parents et du vide juridique.  Les conditions d'accueil y sont parfois déplorables quand il ne s'agit pas purement et simplement de maltraitance.(4)

Le choix des parents ne devrait pas être influencé par des pressions de la société même indirectes, qui pourraient résulter d'une perception négative concernant le coût économique en termes de solidarité.  




La non-stigmatisation des personnes en situation de handicap

La principale interrogation demeure : de quelle manière la société accueillera-t-elle ceux de moins en moins nombreux qui continueront de naître porteurs d'un handicap ?  Quel regard portera la société sur les parents qui auront choisi de donner naissance à un enfant en prenant et acceptant le risque qu'il soit porteur d'une différence ?

Poser cette question ne signifie pas qu'il faille culpabiliser ceux qui font le choix d'interrompre une grossesse.  Mais on peut s'interroger sur cette tendance de la société de rejeter la différence.  Tous les parents d'enfants différents pourront vous raconter des anecdotes où un inconnu s'est permis de faire une remarque comme "Mais quand on a un enfant comme ça, on ne sort pas."

Une telle société me fait horreur.  Est-ce là ce que nous voulons ?  Une société où les individus pour être acceptés doivent répondre à des normes ?  Une société où la valeur d'une personne serait fonction de la "plus-value" qu'il apporte à la société ?  Plus-value en monnaie sonnante et trébuchante, s'entend. (6)

Je ne fantasme pas.  Ce genre de considération n'est pas absente dans la tête des gens.  C'est ainsi que j'ai pu lire de tels commentaires sur facebook, sur le groupe des athées, agnostiques et libres penseurs.  Non seulement ce commentaire a reçu plusieurs mentions "J'aime", mais il n'a fait l'objet de rejet que de la part de 2 ou 3 personnes qui d'ailleurs ont été exclues du groupe.


Lu sur le Groupe des Athées, des Agnostiques et des Libres Penseurs
Dans une société, la meilleure solution est forcément un compromis entre les intérêts particuliers et l'intérêt général.  Dans une société, on ne peut pas respecter de façon fanatique l'intégrité physique des individus.  Ce respect est un principe de base, mais il peut être contrebalancé par les impératifs de l'intérêt général.  Exactement comme demander aux jeunes individus d'une population d'aller risquer leur vie pour faire la guerre contre un individu extérieur, et certains d'entre eux vont la perdre ou être gravement blessés (atteintes multiples à leurs intégrités physiques), la société peut demander à des femmes désireuses d'enfanter, de veiller autant que possible à ne pas enfanter des individus profondément inadaptés ou très difficilement adaptables.  Ce n'est pas qu'une question financière.  Il n'est donc pas moralement condamnable d'obliger une femme déraisonnablement décidée à porter jusqu'à son terme un embryon dont on sait qu'il sera trisomique, à avorter de cet embryon.  Ce n'est qu'un embryon ou un foetus, pas une personne en devenir.

Que dire à la suite d'un tel discours ?  Sinon que, « le ventre est encore fécond, d'où a surgi la bête immonde. »

On peut prévoir dans un avenir assez proche qu'il sera plus simple de séquencer tout le génome de l'embryon plutôt que de faire une recherche ciblée pour certaines maladies ou handicaps graves.  Ce sera possible grâce à cette technique, ça l'est déjà dans le cadre des techniques de fécondation in vitro.

Ces tests pourraient amener à des pratiques eugéniques de plus en plus généralisées pour toutes sortes de particularités génétiques s'il n'y a pas d'encadrement les limitant.  Et malheureusement, cela pourrait conduire notre société à plus encore de stigmatisation ou de rejet de la différence.

Je ne résiste pas à vous montrer ce très beau clip de Sophie Robert sur l'autisme.  Il illustre mieux que je ne pourrais le faire ce que devrait permettre une société véritablement ouverte à la différence.  Si vous connaissez le petit monde de l'autisme en France, vous y reconnaîtrez quelques-uns qui ont acquis une certaine notoriété suite à la publication d'un livre par exemple.  Ou pour s'être exprimé dans les médias.









Mon univers a part (clip autisme) par dragonbleutv





(1) La trisomie 21 Gilles Furelaud Article publié en novembre 2003



(4) Handicap : de plus en plus d'"usines à Français" le long de la frontière.

(5) Voir par exemple La stérilisation des personnes déficientes mentales.

(6) Théo Francken, le secrétaire d'Etat à l'asile et à la migration en Belgique, s'était interrogé sur la "plus-value" des immigrations marocaines et congolaises.  Voir ici.

(7) Education des enfants autistes : la France condamnée.



vendredi 17 octobre 2014

ça se passe dans le train



Ca se passe dans le train, je rentre du travail. Des jeunes étudiants. Des Belges, une Française et un Québecois. Ils sont gais, plaisantent et rient. Ils comparent les coutumes d'un pays à l'autre.

Le Québecois : Mais il y a un truc que je ne comprends pas. Vous faites un geste avec la main, comme ça... A tout bout de champ.
- Ben oui. C'est comme les Italiens " Pizza della mama ! mmmmh"
- Oui, ok. Mais tu viens de faire ça pour des BD.
- Ben oui, on le fait pour tout.
- Même si on voit une jolie fille !

Alors le jeune du Québec, tout à coup sérieux :
- Ah non ! Ce n'est pas possible. Jamais. C'est vraiment manquer de respect à une fille, ça.
- Ouais ouais ! c'est pour rire hein.
- Dites, les gars, vous vous rendez compte que tout le wagon vous écoute, là ?
- Bonjour le wagon !

Et le jeune du Québec, qui me fait face :
- Et vous, Madame, vous en pensez quoi ?
- J'en pense que les femmes semblent bien avoir de la chance de vivre au Québec. Que les féministes aiment bien ce pays.
- Ah oui. Moi, je suis féministe.
Et les autres d'éclater de rire :
- Ben t'es con. Féministe ... Mais c'est les femmes qui sont féministes. Tu peux pas être féministe, toi.
- Ben si je suis féministe. Je suis pour l'égalité.

°°°°

Hé bé. Ils ont encore bien à apprendre nos jeunes en Belgique.

mardi 9 septembre 2014

Faire travailler les chômeurs : Une fausse bonne idée


En Belgique, nous n'avons toujours pas de gouvernement, mais nos élus ont des idées.  Et en voilà une qui ressort à nouveau.  C'est un peu comme les saisons.  Elle revient cycliquement.

Il faut faire travailler les chômeurs.  La grande idée.  Et attendez, c'est pour leur bien.  Cela les aiderait à se remettre en selle.  On leur demanderait de se mettre "au service de la communauté" en échange de l'octroi de leurs allocations de chômage.  Ce serait du donnant-donnant, de quoi leur rendre la fierté de gagner leur croûte.

Que du bonheur...

Heu oui, ça permettrait aussi de faire la différence entre les bons, ceux qui veulent vraiment travailler et les feignants qui profitent du système.   L'équation chômeur = profiteur est dans la tête de beaucoup de personnes.  Bien.  Il faudra un jour que quelqu'un m'explique comment on peut accuser un chômeur de ne pas chercher vraiment...  lorsque l'on sait qu'il y a 5 fois plus de demandeurs d'emploi que d'offres d'emploi (chiffres pour la Wallonie).(1)


Une petite précision d'abord.  Les allocations de chômage sont un système d'assurance.  Lorsque votre maison brûle ou lorsque vous avez un accident de voiture sans avoir commis d'infraction, l'assurance vous octroie une indemnité qui compense votre perte.   Les allocations de chômage, c'est la même chose.  Ce n'est pas un système d'assistance, mais une assurance qui compense votre perte de revenus.  Autant une compagnie d'assurance va refuser de vous indemniser si votre accident de voiture est de votre fait, par exemple parce que vous aviez bu.  Autant l'organisme qui octroie les allocations de chômage va refuser de continuer à vous verser vos indemnités de chômage si vous refusez un travail proposé par exemple.  Et la chasse aux chômeurs qui ne chercheraient pas vraiment du travail est ouverte chez nous.

Soit.  Ainsi, on ajouterait à ce système d'assurance une condition pour bénéficier des indemnités : cela se pratique dans d'autres pays.  Ne soyons pas négatifs.  Certains demandeurs d'emploi seraient heureux de pouvoir travailler un peu.  Même sans augmentation de leurs allocations.


Mais pour autant s'agit-il d'une bonne idée ?  

Lorsque je travaillais dans le domaine de l'insertion socio-professionnelle dans les années 90, il y avait pléthore d'aides à l'embauche.  Je me souviens d'une en particulier,  qui était terriblement avantageuse pour l'employeur.  Pouvait en bénéficier, un employeur qui créait un nouvel emploi pour des tâches qui n'étaient assurées ni par un des salariés de l'entreprise, ni ne pouvaient être effectuées par un indépendant.  Pas question donc, qu'une entreprise de menuiserie bénéficie de cette aide pour engager un dixième ouvrier menuisier ou pour engager un ouvrier pour entretenir les abords de son entreprise (cette tâche pouvait être remplie par une entreprise de parcs et jardins).  Les conditions étaient très restrictives.  Mais l'aide terriblement intéressante.  En effet, le demandeur d'emploi conservait ses allocations de chômage et l'employeur ne payait que le complément pour que le montant du salaire atteigne celui du salaire minimum garanti.  Et il n'y avait pas de cotisations sociales.  Et donc, pour  un demandeur d'emploi bénéficiant du montant d'allocations de chômage le plus élevé, le supplément à payer pour l'employeur pouvait être aussi bas que 1.000 FB, soit 25 EUR.  Par mois.

Et qu'ai-je pu constater ?  Par exemple, une entreprise de menuiserie avait engagé un demandeur d'emploi pour effectuer toutes sortes de petites tâches : charger les camionnettes avec le matériel, les nettoyer, les entretenir, effectuer toutes les petites courses...  Toutes tâches qui auparavant étaient assurées par chaque menuisier.  Ainsi, pour 25 EUR par mois, cet employeur avait trouvé le moyen de débarrasser ses salariés menuisiers de toutes les petites tâches qu'une personne non qualifiée pouvait effectuer.

Même topo pour un magasin de chaussures.  L'employeur ne pouvait pas bénéficier de cette aide à l'emploi pour engager une vendeuse.  Qu'à cela ne tienne, il a engagé une demandeuse d'emploi.  Celle-ci était confinée dans la pièce où se trouvait les stocks et contrôlait l'arrivée des nouvelles marchandises qu'elle étiquettait.  Tâches qui, bien entendu, étaient auparavant remplies par les vendeuses.

Résultat : La sécurité sociale finançait presqu'entièrement un emploi au profit d'entreprises privées.  Et cela n'augmentait même pas le nombre d'emplois.  Puisqu'au lieu d'engager un manoeuvre menuisier ou une vendeuse, les employeurs engageaient des personnes sous-payées dans un sous-statut.  Le mauvais emploi chasse le bon.

C'est exactement ce qui se passera si cette mesure est adoptée par notre futur gouvernement.  S'il est possible pour une commune ou un service public ou une association d'engager un demandeur à bas prix pour "rendre service à la collectivité", pourquoi créerait-il un vrai emploi avec un vrai statut de travailleur ?  Je ne suis pas la seule à le penser... (2)








1.  Dejemeppe M., Van Der Linden B. (2013) : Le manque d'emploi en Wallonie : mythes et réalité.  Regards économiques, 103.  En ligne.
http://www.regards-economiques.be/images/reco-pdf/reco_127.pdf

2. Van Del Linden B. (2014 : Chômage indemnisé contre service à la communauté.  Regards économiques, 114.  En ligne.
http://www.regards-economiques.be//images/reco-pdf/reco_144.pdf


vendredi 5 septembre 2014

Nouveau racisme ?


JE M'EN BEURRE LE CUL de ce glossaire de psychologie sociale utilisé par l'Université Libre de Bruxelles !! Et particulièrement cette définition ubuesque du racisme, m'a répondu l'administrateur du Groupe de Réflexion des Athées, Agnostiques et Libres Penseurs sur Facebook.
Qu'avais-je donc osé écrire pour le faire sortir de ses gonds ?  Simplement alors qu'il me reprochait de confondre stéréotype, discrimination et racisme, j'avais cité les définitions de ce glossaire(1) et particulièrement la définition qui le heurtait, sur le racisme moderne :
Racisme subtil qui s’exprime indirectement et se fonde sur des raisons socialement acceptables.
La définition, il est vrai, est criticable, car tellement floue qu'elle permettrait d'accuser n'importe qui de racisme.   Remarquons cependant que le racisme s'est toujours fondé sur des raisons socialement acceptables.  Il était socialement acceptable d'écrire en 1877, dans Le tour de la France par deux enfants : (2) "La race blanche, la plus parfaite des races humaines, habite surtout l'Europe, l'ouest, de l'Asie, le nord de l'Afrique et l'Amérique."
La première question à se poser concerne l'existence de ce racisme contemporain, que certains ont nommé néo-racisme, ou ethno-différentialisme. (3)


Y a-t-il un nouveau racisme ?
La notion de race est liée à la définition du racisme.  Or, la race n'a pas toujours été considérée comme un concept biologique. Une des formes les plus anciennes du racisme est bien l'antisémitisme.  Mais si celui-ci a pris une forme raciale avec les nazis, le terme d'antisémitisme est aussi utilisé  pour qualifier les actes anti-juifs qui ont eu lieu au cours de l'histoire bien avant que les travaux scientifiques ne tentent une classification biologique des être humains.
Si la première définition donnée par le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales du racisme (4) n'est plus vraiment actuelle :
Ensemble de théories et de croyances qui établissent une hiérarchie entre les races, entre les ethnies,
on s'accordera généralement sur la seconde :
Attitude d'hostilité pouvant aller jusqu'à la violence, et de mépris envers des individus appartenant à une race, à une ethnie différente généralement ressentie comme inférieure.
Ainsi, le terme de race utilisé dans la définition du racisme et  dont la pertinence est remise en cause par la communauté scientifique (5)  pourra être remplacé par le terme d'ethnie :
Groupe d'êtres humains qui possède, en plus ou moins grande part, un héritage socio-culturel commun, en particulier la langue (4)
Or,  aujourd’hui,  8 % de la population considèrent qu’il existe des races supérieures aux autres mais 27 % des personnes interrogées se reconnaissent  « plutôt », ou « un peu » raciste (6).  Ainsi, ces personnes se considérant comme plutôt, ou un peu racistes ne pensent pas nécessairement qu'il y a une hiérarchie des races ou des ethnies.
La définition du racisme ne peut ignorer le contexte historique ou géographique.  Le colonialisme européen pouvait se justifier par une théorie établissant une hiérarchie entre races, et  plus récemment, le projet génocidaire du nazisme s'appuyait sur l'utopie de préservation de la pureté de la race.  Ce qu'on appelle le racisme nouveau ou le néo racisme ne cible plus les races au sens biologique, mais les communautés culturelles.  L'enjeu n'est plus de fonder la supériorité d'un groupe ethnique, mais plutôt de préserver l'indentité d'une culture face à d'autres considérées comme menaçantes.(7)
De fait, le racisme dans nos sociétés européennes actuelles se focalise sur les "immigrés".  Or, les immigrés ne constituent pas une "race", ni même une seule ethnie.  Les attitudes actuelles d'hostilité envers les immigrés ne se basent pas sur une thèse d'inégalité ou d'infériorité, mais plutôt sur la thèse de l'incompatibilité de leur culture avec la nôtre.  On ne recourt plus à la biologie pour inférioriser, mais on se base sur l'origine ethnique et culturelle pour discriminer des personnes appartenant à une communauté jugée inassimilable et considérée comme dangereuse pour le reste de la société.   C'est sur le mythe du choc des civilisations, de l'islamisation de notre société et de l'invasion démographique par la natalité et le regroupement familial que se focalise le nouveau racisme.  Ces mythes qu'il nous faudra démonter, si nous voulons définir quels sont les véritables enjeux dans notre société.
La seconde question que soulève cette définition concerne la forme que prend ce nouveau racisme.  Ce racisme se manifesterait de façon indirecte et se fonderait sur des raisons socialement acceptables.

Quelles raisons acceptables ?
Le racisme peut se nicher dans toutes sortes de combats menés par des militants dans notre société.  Ainsi, les associations pour le bien-être animal qui militent contre l'abattage sans étourdissement sont sensibles au risque de noyautage par des militants ou des groupuscules plus xénophobes que sensibilisés à la cause animale. (8)  Marine Le Pen avait aussi utilisé le prétexte de la souffrance animale dans le but d'interdire la viande halal.  Or, ce n'est pas l'abattage rituel en lui-même qui pose question, mais le fait qu'il soit obtenu sans étourdissement.  Une partie de la viande halal consommée en Arabie Saoudite provient d'Australie et de Nouvelle-Zélande, pays qui pratiquent l'abattage industriel avec étourdissement.
Le féminisme et la laïcité sont aussi d'excellentes raisons pour justifier une hostilité envers les personnes appartenant à une communauté que l'on estime non assimilable dans notre société.  C'est la lecture de tels discours à l'antipode du féminisme et de la défense de la laïcité qui m'a convaincue de commencer à m'exprimer à travers ce blog.
 En conclusion.
On retrouve dans le racisme contemporain 4 caractéristiques identifiées par Pierre-André Taguieff. (9)
-  Ce n'est plus tant l'appartenance à une race qu'à une ethnie ou une culture qui est visée.
- L'accent n'est plus mis sur l'inégalité mais sur la différence (sous-entendue non assimilable)
- Ce sont les différences qui sont pointées, plutôt que ce qui rassemble.
- L'expression du racisme ne se fait plus ouvertement.
Cette nouvelle forme que prend le racisme, plus subtile, plus difficilement repérable est d'autant plus violente.  Elle nie la réalité du vécu  et du ressenti des personnes victimes d'attitudes hostiles et de discrimination et elle les enferme dans des catégories stéréotypées.   Démontrer l'inanité au point de vue biologique du concept de race ne suffit plus.  Il faut encore convaincre que les valeurs d'égalité homme-femme, du respect des droits de l'homme et de la laïcité ne sont pas mises en danger par le bout d'un foulard aperçu en rue !



  1. On peut trouver ce glossaire ici.  
  2. Réflexion sur un manuel scolaire à succès : Le tour de la France par deux enfants.
  3. Voir la définition de wikipédia.
  4. Définitions du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales.
  5. Albert Jacquard a publié de nombreux ouvrages de vulgarisation scientifique et notamment de génétique réfutant la pertinence du concept de race chez l'être humain.
  6. Sondage issu du rapport 2011 de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH).
  7. Abattage rituel : comment en parler sans se faire traiter de facho, Florence Pinaud, 14/10/2013, Le Nouvel Observateur-Rue 89
  8. Pierre-André Taguieff est sociologue et politologue français, directeur de recherches au CNRS.  Il se situe à droite, et fait l'objet de controverses médiatisées, certains le considère comme proche de l'extrême-droite.  Je ne l'ai pas lu, je ne me positionnerai pas sur ce point.  Cependant, sa définition du racisme me paraïte pertinente.