mardi 9 septembre 2014

Faire travailler les chômeurs : Une fausse bonne idée


En Belgique, nous n'avons toujours pas de gouvernement, mais nos élus ont des idées.  Et en voilà une qui ressort à nouveau.  C'est un peu comme les saisons.  Elle revient cycliquement.

Il faut faire travailler les chômeurs.  La grande idée.  Et attendez, c'est pour leur bien.  Cela les aiderait à se remettre en selle.  On leur demanderait de se mettre "au service de la communauté" en échange de l'octroi de leurs allocations de chômage.  Ce serait du donnant-donnant, de quoi leur rendre la fierté de gagner leur croûte.

Que du bonheur...

Heu oui, ça permettrait aussi de faire la différence entre les bons, ceux qui veulent vraiment travailler et les feignants qui profitent du système.   L'équation chômeur = profiteur est dans la tête de beaucoup de personnes.  Bien.  Il faudra un jour que quelqu'un m'explique comment on peut accuser un chômeur de ne pas chercher vraiment...  lorsque l'on sait qu'il y a 5 fois plus de demandeurs d'emploi que d'offres d'emploi (chiffres pour la Wallonie).(1)


Une petite précision d'abord.  Les allocations de chômage sont un système d'assurance.  Lorsque votre maison brûle ou lorsque vous avez un accident de voiture sans avoir commis d'infraction, l'assurance vous octroie une indemnité qui compense votre perte.   Les allocations de chômage, c'est la même chose.  Ce n'est pas un système d'assistance, mais une assurance qui compense votre perte de revenus.  Autant une compagnie d'assurance va refuser de vous indemniser si votre accident de voiture est de votre fait, par exemple parce que vous aviez bu.  Autant l'organisme qui octroie les allocations de chômage va refuser de continuer à vous verser vos indemnités de chômage si vous refusez un travail proposé par exemple.  Et la chasse aux chômeurs qui ne chercheraient pas vraiment du travail est ouverte chez nous.

Soit.  Ainsi, on ajouterait à ce système d'assurance une condition pour bénéficier des indemnités : cela se pratique dans d'autres pays.  Ne soyons pas négatifs.  Certains demandeurs d'emploi seraient heureux de pouvoir travailler un peu.  Même sans augmentation de leurs allocations.


Mais pour autant s'agit-il d'une bonne idée ?  

Lorsque je travaillais dans le domaine de l'insertion socio-professionnelle dans les années 90, il y avait pléthore d'aides à l'embauche.  Je me souviens d'une en particulier,  qui était terriblement avantageuse pour l'employeur.  Pouvait en bénéficier, un employeur qui créait un nouvel emploi pour des tâches qui n'étaient assurées ni par un des salariés de l'entreprise, ni ne pouvaient être effectuées par un indépendant.  Pas question donc, qu'une entreprise de menuiserie bénéficie de cette aide pour engager un dixième ouvrier menuisier ou pour engager un ouvrier pour entretenir les abords de son entreprise (cette tâche pouvait être remplie par une entreprise de parcs et jardins).  Les conditions étaient très restrictives.  Mais l'aide terriblement intéressante.  En effet, le demandeur d'emploi conservait ses allocations de chômage et l'employeur ne payait que le complément pour que le montant du salaire atteigne celui du salaire minimum garanti.  Et il n'y avait pas de cotisations sociales.  Et donc, pour  un demandeur d'emploi bénéficiant du montant d'allocations de chômage le plus élevé, le supplément à payer pour l'employeur pouvait être aussi bas que 1.000 FB, soit 25 EUR.  Par mois.

Et qu'ai-je pu constater ?  Par exemple, une entreprise de menuiserie avait engagé un demandeur d'emploi pour effectuer toutes sortes de petites tâches : charger les camionnettes avec le matériel, les nettoyer, les entretenir, effectuer toutes les petites courses...  Toutes tâches qui auparavant étaient assurées par chaque menuisier.  Ainsi, pour 25 EUR par mois, cet employeur avait trouvé le moyen de débarrasser ses salariés menuisiers de toutes les petites tâches qu'une personne non qualifiée pouvait effectuer.

Même topo pour un magasin de chaussures.  L'employeur ne pouvait pas bénéficier de cette aide à l'emploi pour engager une vendeuse.  Qu'à cela ne tienne, il a engagé une demandeuse d'emploi.  Celle-ci était confinée dans la pièce où se trouvait les stocks et contrôlait l'arrivée des nouvelles marchandises qu'elle étiquettait.  Tâches qui, bien entendu, étaient auparavant remplies par les vendeuses.

Résultat : La sécurité sociale finançait presqu'entièrement un emploi au profit d'entreprises privées.  Et cela n'augmentait même pas le nombre d'emplois.  Puisqu'au lieu d'engager un manoeuvre menuisier ou une vendeuse, les employeurs engageaient des personnes sous-payées dans un sous-statut.  Le mauvais emploi chasse le bon.

C'est exactement ce qui se passera si cette mesure est adoptée par notre futur gouvernement.  S'il est possible pour une commune ou un service public ou une association d'engager un demandeur à bas prix pour "rendre service à la collectivité", pourquoi créerait-il un vrai emploi avec un vrai statut de travailleur ?  Je ne suis pas la seule à le penser... (2)








1.  Dejemeppe M., Van Der Linden B. (2013) : Le manque d'emploi en Wallonie : mythes et réalité.  Regards économiques, 103.  En ligne.
http://www.regards-economiques.be/images/reco-pdf/reco_127.pdf

2. Van Del Linden B. (2014 : Chômage indemnisé contre service à la communauté.  Regards économiques, 114.  En ligne.
http://www.regards-economiques.be//images/reco-pdf/reco_144.pdf


vendredi 5 septembre 2014

Nouveau racisme ?


JE M'EN BEURRE LE CUL de ce glossaire de psychologie sociale utilisé par l'Université Libre de Bruxelles !! Et particulièrement cette définition ubuesque du racisme, m'a répondu l'administrateur du Groupe de Réflexion des Athées, Agnostiques et Libres Penseurs sur Facebook.
Qu'avais-je donc osé écrire pour le faire sortir de ses gonds ?  Simplement alors qu'il me reprochait de confondre stéréotype, discrimination et racisme, j'avais cité les définitions de ce glossaire(1) et particulièrement la définition qui le heurtait, sur le racisme moderne :
Racisme subtil qui s’exprime indirectement et se fonde sur des raisons socialement acceptables.
La définition, il est vrai, est criticable, car tellement floue qu'elle permettrait d'accuser n'importe qui de racisme.   Remarquons cependant que le racisme s'est toujours fondé sur des raisons socialement acceptables.  Il était socialement acceptable d'écrire en 1877, dans Le tour de la France par deux enfants : (2) "La race blanche, la plus parfaite des races humaines, habite surtout l'Europe, l'ouest, de l'Asie, le nord de l'Afrique et l'Amérique."
La première question à se poser concerne l'existence de ce racisme contemporain, que certains ont nommé néo-racisme, ou ethno-différentialisme. (3)


Y a-t-il un nouveau racisme ?
La notion de race est liée à la définition du racisme.  Or, la race n'a pas toujours été considérée comme un concept biologique. Une des formes les plus anciennes du racisme est bien l'antisémitisme.  Mais si celui-ci a pris une forme raciale avec les nazis, le terme d'antisémitisme est aussi utilisé  pour qualifier les actes anti-juifs qui ont eu lieu au cours de l'histoire bien avant que les travaux scientifiques ne tentent une classification biologique des être humains.
Si la première définition donnée par le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales du racisme (4) n'est plus vraiment actuelle :
Ensemble de théories et de croyances qui établissent une hiérarchie entre les races, entre les ethnies,
on s'accordera généralement sur la seconde :
Attitude d'hostilité pouvant aller jusqu'à la violence, et de mépris envers des individus appartenant à une race, à une ethnie différente généralement ressentie comme inférieure.
Ainsi, le terme de race utilisé dans la définition du racisme et  dont la pertinence est remise en cause par la communauté scientifique (5)  pourra être remplacé par le terme d'ethnie :
Groupe d'êtres humains qui possède, en plus ou moins grande part, un héritage socio-culturel commun, en particulier la langue (4)
Or,  aujourd’hui,  8 % de la population considèrent qu’il existe des races supérieures aux autres mais 27 % des personnes interrogées se reconnaissent  « plutôt », ou « un peu » raciste (6).  Ainsi, ces personnes se considérant comme plutôt, ou un peu racistes ne pensent pas nécessairement qu'il y a une hiérarchie des races ou des ethnies.
La définition du racisme ne peut ignorer le contexte historique ou géographique.  Le colonialisme européen pouvait se justifier par une théorie établissant une hiérarchie entre races, et  plus récemment, le projet génocidaire du nazisme s'appuyait sur l'utopie de préservation de la pureté de la race.  Ce qu'on appelle le racisme nouveau ou le néo racisme ne cible plus les races au sens biologique, mais les communautés culturelles.  L'enjeu n'est plus de fonder la supériorité d'un groupe ethnique, mais plutôt de préserver l'indentité d'une culture face à d'autres considérées comme menaçantes.(7)
De fait, le racisme dans nos sociétés européennes actuelles se focalise sur les "immigrés".  Or, les immigrés ne constituent pas une "race", ni même une seule ethnie.  Les attitudes actuelles d'hostilité envers les immigrés ne se basent pas sur une thèse d'inégalité ou d'infériorité, mais plutôt sur la thèse de l'incompatibilité de leur culture avec la nôtre.  On ne recourt plus à la biologie pour inférioriser, mais on se base sur l'origine ethnique et culturelle pour discriminer des personnes appartenant à une communauté jugée inassimilable et considérée comme dangereuse pour le reste de la société.   C'est sur le mythe du choc des civilisations, de l'islamisation de notre société et de l'invasion démographique par la natalité et le regroupement familial que se focalise le nouveau racisme.  Ces mythes qu'il nous faudra démonter, si nous voulons définir quels sont les véritables enjeux dans notre société.
La seconde question que soulève cette définition concerne la forme que prend ce nouveau racisme.  Ce racisme se manifesterait de façon indirecte et se fonderait sur des raisons socialement acceptables.

Quelles raisons acceptables ?
Le racisme peut se nicher dans toutes sortes de combats menés par des militants dans notre société.  Ainsi, les associations pour le bien-être animal qui militent contre l'abattage sans étourdissement sont sensibles au risque de noyautage par des militants ou des groupuscules plus xénophobes que sensibilisés à la cause animale. (8)  Marine Le Pen avait aussi utilisé le prétexte de la souffrance animale dans le but d'interdire la viande halal.  Or, ce n'est pas l'abattage rituel en lui-même qui pose question, mais le fait qu'il soit obtenu sans étourdissement.  Une partie de la viande halal consommée en Arabie Saoudite provient d'Australie et de Nouvelle-Zélande, pays qui pratiquent l'abattage industriel avec étourdissement.
Le féminisme et la laïcité sont aussi d'excellentes raisons pour justifier une hostilité envers les personnes appartenant à une communauté que l'on estime non assimilable dans notre société.  C'est la lecture de tels discours à l'antipode du féminisme et de la défense de la laïcité qui m'a convaincue de commencer à m'exprimer à travers ce blog.
 En conclusion.
On retrouve dans le racisme contemporain 4 caractéristiques identifiées par Pierre-André Taguieff. (9)
-  Ce n'est plus tant l'appartenance à une race qu'à une ethnie ou une culture qui est visée.
- L'accent n'est plus mis sur l'inégalité mais sur la différence (sous-entendue non assimilable)
- Ce sont les différences qui sont pointées, plutôt que ce qui rassemble.
- L'expression du racisme ne se fait plus ouvertement.
Cette nouvelle forme que prend le racisme, plus subtile, plus difficilement repérable est d'autant plus violente.  Elle nie la réalité du vécu  et du ressenti des personnes victimes d'attitudes hostiles et de discrimination et elle les enferme dans des catégories stéréotypées.   Démontrer l'inanité au point de vue biologique du concept de race ne suffit plus.  Il faut encore convaincre que les valeurs d'égalité homme-femme, du respect des droits de l'homme et de la laïcité ne sont pas mises en danger par le bout d'un foulard aperçu en rue !



  1. On peut trouver ce glossaire ici.  
  2. Réflexion sur un manuel scolaire à succès : Le tour de la France par deux enfants.
  3. Voir la définition de wikipédia.
  4. Définitions du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales.
  5. Albert Jacquard a publié de nombreux ouvrages de vulgarisation scientifique et notamment de génétique réfutant la pertinence du concept de race chez l'être humain.
  6. Sondage issu du rapport 2011 de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH).
  7. Abattage rituel : comment en parler sans se faire traiter de facho, Florence Pinaud, 14/10/2013, Le Nouvel Observateur-Rue 89
  8. Pierre-André Taguieff est sociologue et politologue français, directeur de recherches au CNRS.  Il se situe à droite, et fait l'objet de controverses médiatisées, certains le considère comme proche de l'extrême-droite.  Je ne l'ai pas lu, je ne me positionnerai pas sur ce point.  Cependant, sa définition du racisme me paraïte pertinente.